Dans les guerres, on ne dit pas
directement aux enfants toutes les atrocités, les morts par exemple, les
tueries, les tombeaux, le sang.
Ils voient et puis entendent.
Les enfants dans les guerres
recueillent des mots qui volent au dessus de leurs têtes, des mots qui font
images et des images sans mots.
Longtemps après, il faut encore
raccorder images et mots, on n'en finit plus de recoudre cette fracture.
Il en est ainsi des noms.
Te souviens-tu d'Abderrahmane Farès ?
Les noms restent, là, prisonniers de la voix du Père.
Messagers.
Te souviens-tu de Kateb Yacine ?
Les mots ont une mémoire seconde qui se prolonge
mystérieusement au milieu des significations nouvelles.
Finalement, dit Sara, le
souvenir ravive le souvenir. Nos paroles sortent comme d'un puits où depuis
longtemps n'était pas descendu de seau.
Elles se dégagent de la gangue,
vase des douleurs, qu'il avait fallu bannir pour continuer à aller vers notre
avenir.
Les enfants dans la guerre font
ainsi, car la vie, pour eux, est la plus forte.
Ils veulent remettre les deuils
à plus tard, alors ils enferment tout et même les bonheurs dans la cassette des
pierreries. Tout reste là.
Tout reste figé dans leur
regard d'enfant.
Ils attendent, sans savoir
qu'ils veulent atteindre ce moment où ils pourront nommer les sentiments, les
sensations, les images immobiles.
Ils voient alors, comment tout
cela a guidé leur vie, plus qu'ils n'auraient cru, plus qu'ils n'auraient
voulu, plus qu'ils n'ont su.
Ils savent pourquoi, certaines choses ne les faisaient
jamais rire.
Ils savent pourquoi ils prenaient à coeur des causes qui
semblaient les concerner à peine. La guerre est là au fond de leur coeur.
La guerre est là, tapie,
silencieuse, et derrière tout un vacarme de mots qu'ils n'ont jamais pu dire.
"Tout homme a un secret en lui, beaucoup meurent sans
l'avoir trouvé". La guerre a pris la place de leur secret.
(à suivre...)
LB
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