Que dire des souvenirs, de l'imprécision de leurs contours,
de leurs couleurs indécises,de leur manie d'occuper plusieurs espaces-temps à la fois ?
Ils enjambent les espaces, vont d'une ville à l'autre ou
d'une demeure à la suivante, ils oublient leurs repères et nous égarent.
Avec eux, nous nous perdons, nous perdons l'essentiel.
Seuls quelques uns surnagent, et sont d'une précision
extrême, ils se sont accrochés à l'acmé d'une émotion unique, inoubliable.
L'émotion restée intacte a préservé l'évènement de l'oubli.
Je me souviens qu'on disait "habiter un gourbi".
Un soir, de l'autre côté de la rue, au delà du rideau des
eucalyptus, des flammes, un gourbi qui brûlait.
Le Père était sorti avec deux seaux d'eau, et était revenu les remplir plusieurs fois.
Je me souviens que des
gens habitaient dans des gourbis où le sol était de terre battue.
Je me
souviens du mot canoun, et que c'était une grande poterie au ventre bien rond
qu'on remplissait de charbon.
Les braises chauffaient l'espace de la petite
habitation et servaient à cuire des aliments.
Sara avait dit le lendemain de l'incendie, c'est un canoun
qui s'est renversé. Un accident. Déjà, on imaginait des attentats partout.
Toujours est-il que ces voisins là habitaient dans un gourbi
et qu'en une seule soirée, ils avaient absolument tout perdu, sauf leur vie.
(à suivre...)
LB
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