samedi 21 janvier 2012

14. Enfants dans la Guerre (1)


On ne demande pas aux enfants ce qu'ils pensent pendant les guerres, ils en pensent tout de même quelque chose, même s'ils se taisent. 

On demande aux enfants d'obéir et de ne pas compliquer une vie déjà complexe, on demande aux enfants de ne pas dire qu'ils ont peur. 

Bien sûr, on ne le demande pas officiellement.

On ne les réunit pas pour leur dire, enfants, n'ayez pas peur car je vous interdis d'avoir peur, car je prétends vous protéger de la peur. 

En fait, on s'illusionne, on crée un espace de silence autour de la peur.

Vivre dans un pays en guerre n'est pas simple, car il faut continuer à vivre. 

Il faut continuer à vivre le plus normalement possible. Il faut continuer à préparer son avenir, et les enfants sont l'avenir.

Le Père dit Sara, mettait un point d'honneur à ce que les enfants ne manquent pas une seule journée d'école. 

Pour le Père, l'école avait été l'avenir, son avenir, tout son avenir. L'école même signifiait pour lui que les enfants étaient l'avenir. 

Pour le Père, il y avait Ecole, c'était sa phrase, sa phrase fétiche, il y avait Ecole, il fallait y aller, ça ne se discutait même pas.

Le Père était aidé par la Radio, car la Radio ne parlait toujours pas de guerre, elle s'obstinait à dire événements, un peu plus tard elle avait concédé de dire Evénements

La Radio disait Evènements en rapportant des faits de guerre. Cela éloignait tout de même un peu la Guerre.

Bien sûr, la Guerre n'était pas loin, mais certains étaient en son coeur et d'autres se tenaient à son bord, à ses abords.

Tous les parents tentaient de tenir leurs enfants aux bords de la Guerre, au bord le plus éloigné de l'épicentre.

La Radio révélait le lieu de l'épicentre, mais le problème était que les épicentres étaient multiples et se déplaçaient. 

Ceux qui entrent aujourd'hui dans la vieillesse, étaient des enfants dans la Guerre. 

Vont-ils enfin pouvoir se parler ceux à qui on a progressivement interdit de jouer ensembles?

Il y a des fenêtres aux prisons des souvenirs.

Vont-ils enfin pouvoir se parler ceux à qui la Guerre sans nom a, petit à petit, interdit de jouer ensembles ?


(à suivre...)


LB