mardi 21 février 2012

24. Enfants dans la guerre (3)


Finalement, dit Sara, le souvenir ravive le souvenir. 

Nos paroles sortent comme d'un puits où depuis longtemps n'était pas descendu de seau. 

Elles se dégagent de la gangue de vase des douleurs qu'il avait fallu bannir pour continuer à aller vers notre avenir.

Les enfants dans la guerre font ainsi, car la vie, pour eux, est la plus forte.

Ils veulent remettre les deuils à plus tard, alors ils enferment tout et même les bonheurs dans la cassette des pierreries. Tout reste là. 

Tout reste figé dans leur regard d'enfant. 

Ils attendent, sans savoir qu'ils veulent atteindre ce moment où ils pourront nommer les sentiments, les sensations, les images immobiles.  

Ils voient alors, comment tout cela a guidé leur vie, plus qu'ils n'auraient cru, plus qu'ils n'auraient voulu, plus qu'ils n'ont su.

Ils savent pourquoi, certaines choses ne les faisaient jamais rire. 

Ils savent pourquoi ils prenaient à coeur des causes qui semblaient les concerner à peine. La guerre est là au fond de leur coeur. 

La guerre est là, tapie, silencieuse, et derrière tout un vacarme de mots qu'ils n'ont jamais pu dire.

"Tout homme a un secret en lui, beaucoup meurent sans l'avoir trouvé". La guerre a pris la place de leur secret.

(à suivre...)

LB

23. Le code de l'indigénat


Te souviens-tu du "code de l'indigénat" ? 

Regarde, dit le Père, regarde comment le code de l'indigénat exacerbait les dissensions entre les habitants du pays.

Avec le temps, les choses s'éclairent, se simplifient, apparaissent dans l'évidence que seuls, quelques uns, savaient distinguer clairement.

Le "code de l'indigénat" était le nerf de la Guerre sans Nom.

Le jeu de la citoyenneté - du plus ou moins de citoyenneté, selon l'origine, le sceau de nos naissances - était le coeur du brasier.

Le jeu subtil entre les mots nationalité, citoyenneté, appartenance, les glissements de sens affutaient les traits de fracture. 

On distribuait des droits civiques comme des bons points et en 1948, on bafouait, à peine adoptée la déclaration universelle des droits de l'homme.

Chaque dimanche les pugilats, les oncles et le Père criaient et Sara fermait les fenêtres.

(à suivre...)

LB