Suite de 41 à 50

41. La neige (2)

Rachid écrit à Lila qu'il neige en Algérie.
Rachid écrit la neige dans l'intérieur des terres et sur le littoral.
Rachid décrit la neige sur les palmiers et les eucalyptus, sur le sable en bord de mer.
Il faudrait que tu viennes, écrit Rachid, la neige est comme une perle rare. Et des villages, elle fait des perles blanches.
Les dunes d'El Oued ont mis leur robe de mariée.

(à suivre...)

LB

42. Dates


Jeanne fait des calculs, les livres d'histoire servent à ça, avec leurs dates bien rangées en ordre de marche.

Si Sara est née en 1920 de Rachel qui avait 40 ans, Rachel est née en 1880.

La vieille Sara se souvient que Rachel disait qu'après la mort de sa mère, elle était allée en pension chez les sœurs.

Jeanne calcule que Rachel est allée en pension chez les sœurs en 1890.

(à suivre...)

LB

43. Le ministre


Lila recopie très exactement cette phrase de la rubrique « racisme » de l’encyclopédie.

« Dans la période post-coloniale, est apparu ce que les auteurs appelle le néo-racisme, un racisme sans races, différentialiste et culturel qui se focalise sur les différences culturelles et non sur l’hérédité biologique comme le racisme classique. »

Un ministre de la République a parlé hier de civilisations de valeurs différentes. Il a remis son racisme au goût du jour. Il l’a modernisé, rénové, actualisé.


Il a pris prétexte de la situation des femmes dans le monde.


Il s'est enorgueilli des victoires de nos mères alors que lui et les siens les ont combattues.

Nous demandons au Président de désavouer les propos de son ami et ministre. Le Président ne désavoue rien, plus il approuve.



Le Président est en Polynésie où il fait semblant d'écouter les demandes des Polynésiens à propos des essais nucléaires. Lila souligne : ne pas oublier que le ministre est l’ami du Président et qu’ils se partagent le travail.



Le Président est en Polynésie. Les essais nucléaires ont été transportés là bas, à partir de 1966. On discute aujourd'hui de dédommagements.

Le char ailé de la République n'est pas conduit par des sages.

Les propos du ministre ont humilié l'humanité même.

Lila note :

Je vis Orion chassant, dans le champ d'asphodèles, les bêtes fauves tuées autrefois sur les monts sauvages. Il portait une massue d'airain.

(à suivre...)

LB

44. Dardanelles




Les troupes d'Afrique fondaient sous le feu comme des poupées multicolores.
Zouaves et tirailleurs habillés de rouge, de vert et de blanc.

Chaque jour des centaines d'orphelins naissaient dans tous les coins d'Algérie, arabes et français.

Jeanne se souvient que Louise disait que son mari était aux Dardanelles et qu'il aurait pu y perdre la vie.



Louise riait et parlait du Radeau de la Méduse, David avait dérivé des jours durant et avait eu par miracle la vie sauve. 
Il était rentré des Dardanelles en 1919, et le Père était né en 1920. La même année que Sara, demandait Jeanne. Oui, disait Louise, la même année que Sara.

David avait été enrôlé dans les zouaves.

On tournait les aventures guerrières de David au comique, on en riait, il en avait réchappé.


L'état colonial labourait à dessein le sillon de l'ignorance, créant des terres sans habitants et des habitants sans Histoire. 


Chacun devait être prêt à se battre pour la France.

Jeanne relirait tout Camus pour que revienne les bribes de souvenirs tapis dans les mots, ensuite, l'Histoire avec sa grande H complèterait.

(à suivre...)

LB 

45. La machine Singer

Je me souviens que Sara cousait sur une machine Singer.







Je me souviens de ses pieds posés sur le rectangle de métal ouvragé, le pied droit un peu plus haut que le gauche.

Je me souviens du mouvement que ses pieds imprimaient à la plaque, quand le droit appuyait en haut puis le gauche en bas. C'était une danse, et les mains de Sara guidaient le tissu, la tête penchée sur la machine. La main gauche en avant, la droite en arrière.


Je me souviens de la manière dont le mouvement des pieds

se transmettait par une roue équipée d'une courroie de cuir jusqu'à l'aiguille.

La danse était dans la machine mais aussi dans le corps de Sara, répétitive, rassurante, un bercement.

Je me souviens que Sara aimait coudre.

Je me souviens que j'admirais Sara quand elle cousait, la danse de son corps qui guidait la machine et l'objet de tissu qui apparaissait.
Les jambes freinaient la roue qui risquaient d'emballer le va et vient de l'aiguille, le temps d'ajuster le tissu.

Les mains superposaient délicatement les pans que la piqûre devait assembler.

Si la roue n'obéissait pas aux pieds agiles de Sara et que l'aiguille mordait le tissu où elle ne devait pas, Sara s'arrêtait soudain.

Sara rassemblait l'ouvrage sur ses genoux puis entreprenait de découdre avec un petit instrument pointu et coupant en forme de bec d'oiseau.

Elle passait la pointe aiguë du bec sous le fil, l'enfonçait pour que la petite lame le coupe net et recommençait pour le point suivant.

Quand chaque point avait été défait un à un, la danse recommençait.

Tout semblait aller bien et parfois ça déraillait. Un instant d'inattention et l'harmonie était brisée.




(à suivre...)

LB

46. Le SNI et Freinet


Je me souviens que le Père disait le SNI et qu'il s'agissait du syndicat national des instituteurs.
Je me souviens qu'il inventait et créait des objets que je sais, aujourd'hui être du matériel pédagogique.
Je me souviens des récipients d'étain pour apprendre les litres, les décilitres et les centilitres.
Je me souviens des bûchettes et que dix petites bûchettes jaunes pouvaient être remplacées par une grosse bûchette rouge.

Je me souviens de la cérémonie du remplissage des encriers de porcelaine blanche avec de l'encre violette.

Je me souviens de la préparation de l'encre violette à partir d'une quantité de poudre qu'il fallait mélanger à un litre d'eau.

Je me souviens que le Père agitait longuement la bouteille pleine pour éviter que de la poudre ne s'amalgame et fasse ensuite des pâtés.


Je me souviens que le Père ne jurait que par la méthode Freinet et qu'il en était fier.

Je me souviens avoir un jour soufflé dans un encrier, alors que je portais une bien jolie petite robe blanche, décorée de broderie anglaise.

Je me souviens que parfois, lorsqu'il allait aux réunions du SNI, Sara n'était pas contente. Pendant un temps, elle était jalouse.

Je me souviens que lorsque Sara a commencé à avoir peur, elle s'est mise à allumer une veilleuse avant que le Père ne parte. 

Mais là, ils habitaient déjà dans la Grande Ville et la Cité était loin de l'école du Père. Finis les appartements de fonction.

Dans le Village des Asphodèles, le Père ne faisait qu'enseigner et animer le Foyer Rural. 

On entendait les premiers murmures de la Guerre.

(à suivre...)

LB

47. Les murmures de la Guerre


Dans le Village des Asphodèles, quand les élèves partaient, la cour d'école devenait notre immense terrain de jeu.
Entre Sara et le Père, il y avait les cris et puis, il y avait les murmures.
Il y avait cette tonalité si particulière de la voix qui enjoignait aux enfants de ne pas entendre.

Jeanne se souvient qu'à ce signal, elle écoutait de toutes ses forces.
Le plus souvent, il s'agissait d'affaires de famille. Mais, parfois, c'était les murmures de la Guerre.

Dans le Village des Asphodèles, le premier drame fut le départ du frère de Sara, avec femme et enfants pour la France.

(à suivre...)

LB 


48. Lumières





Je me souviens de la lampe à pétrole et de sa flamme triangulaire dont il fallait régler la hauteur en faisant monter ou descendre la mêche.
Je me souviens de la molette de cuivre qu'il fallait tourner, et que Sara inclinait la tête pour que ses yeux soient à bonne hauteur.

Je me souviens des veilleuses que Sara allumaient chaque vendredi soir ou quand la petite flamme devait protéger une vie.
Il fallait un verre de bonne épaisseur, y mettre de l'eau jusqu'à un peu plus de la moitié et compléter avec de l'huile.
Je me souviens du jaune doré de l'huile d'arachide.
Ensuite Sara ouvrait la boite en carton où se tenaient flotteur et bobèches.
Elle prenait le flotteur de liège couvert du métal argenté et dressait le fil de fer fin et torsadé qui se terminait par un commode arrondi.
En son cœur évidé, elle enfonçait la bobéche de cire grise centrée par le filin blanc de la mèche.
Elle prenait entre son pouce et son index l'arrondi du fil de fer dressé et posait le petit appareil sur la surface de l'huile.
Elle rajoutait parfois de l'huile en un petit filet, s'avisant soudain que la flamme devrait durer un peu plus.
Elle craquait ensuite l'allumette et la posait tout contre la mèche qui s'allumait quand elle s'était assez imprégnée de l'huile.

Je me souviens des bougies d'anniversaire et de leur support de plastique rose.
Je me souviens des bougies d'anniversaire et de leur support de plastique rose en forme de fleurs en corolle. 

(à suivre...)
LB


49. Camus


Quand Camus a écrit, "le jour commençait à baisser, puis c'était le rapide crépuscule africain", c'est à coup sûr après l'exil.

(à suivre...)
LB

50. Samuel


Sara se souvient que les rues du village de son enfance étaient tracées au cordeau, elles se croisaient à angle droit, au centre une église.

Sara dit que Samuel, son père, avait fait bâtir la synagogue à laquelle on accédait par la cour en arrière de leur maison.

Je me souviens de la bénédiction du Quippour, c'était comme si Samuel prenait tous les enfants sous de grandes ailes blanches.

Je me souviens que Samuel portait un burnouss blanc et doux en laine ou beige et rêche en poil de chameau.

Samuel prenait ses couffins et allait faire les courses au marché.

(à suivre...)
LB




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