Chapitres de 1 à 10


1_____________________________________________________



Te souviens-tu des allumettes Le Jockey, du cheval rouge au galop, queue au vent sur fond jaune et tapis vert d'un champ de course stylisé ?

Te souviens-tu du lion emblème de l'eau de source Ben Haroun ?

Te souviens-tu qu'on disait d'une échevelée : elle est coiffée comme le lion Ben Haroun ?



Elles se souviennent du véritable Selecto concurrencé par Coca Cola après la Seconde Guerre Mondiale, mais, pour elles, demeuré inégalé.


L'étiquette de la bouteille d'eau minérale
décollée, déroulée et conservée par Michel Paulin,
 publiée par lui sur le net en souvenir.


Te souviens-tu des crocs terrifiants du lion Ben Haroun et de l'eau coulant d'improbable manière, en quatre filets distincts, de sa gueule ?

(à suivre...)Te souviens-tu des allumettes Le Jockey, du cheval rouge au galop, queue au vent sur fond jaune et tapis vert d'un champ de course stylisé ?


Te souviens-tu du lion emblème de l'eau de source Ben Haroun ?
Te souviens-tu qu'on disait d'une échevelée : elle est coiffée comme le lion Ben Haroun ?

Elles se souviennent du véritable Selecto concurrencé par Coca Cola après la Seconde Guerre Mondiale, mais, pour elles, demeuré inégalé.


Te souviens-tu des crocs terrifiants du lion Ben Haroun et de l'eau coulant d'improbable manière, en quatre filets distincts, de sa gueule ?


(à suivre...)

2_____________________________________________


Te souviens tu de l'incendie de la Bibliothèque Universitaire d'Alger ? 



Elle se souvient qu'il n'y avait que trois jeunes filles musulmanes dans la classe de sixième du Lycée Fromentin d'Alger.

Te souviens-tu qu'on ne disait pas guerre d'Algérie mais évènements d'Algérie ?


Elle se souvient des mots de la guerre, elle les dit, embuscades, rebelles, attentat, charnier, napalm, torture, bazookas, fusillade, bombe.

Elle se souvient de son enfance hantée par les mots de la guerre.

Elle se souvient de la peur et qu'elle était tellement entremélée de quotidien qu'elle croyait ne plus l'éprouver.

Elle se souvient qu'elle a su qu'elle avait vécu avec cette peur comme une seconde peau quand la guerre a cessé.

Elle se souvient de l'expression "cessez le feu" le nom d'une chose qui ressemblait à un ordre auquel personne ne voulait obéir jamais.

Elle se souvient des bombes et qu'il y en avait eu, une fois, sur la ligne de l'autobus qu'elle prenait pour aller chaque jour au lycée.

Te souviens-tu du mot "fellagha" ?

Nous sommes en 1956.
Le déclenchement de la
(révolution, lutte armée, guerre, évènements, hostilités, rébellion)
date de novembre 1954.
La Guerre va durer encore 6 ans.

(à suivre...)

3_____________________________________________


Elle se souvient de la guerre des mots.


Elle se souvient de la radio.

Elle se souvient de Radio Alger.

Te souviens-tu de Radio Alger ?




Nul ne se souvient, chacun veut oublier.

Les guerres d'autrefois se sont tapies dans les guerres d'aujourd'hui.

Ici, où seul règne l'instant, autrefois devrait être banni. Ici, nos mémoires devraient se taire. Ici, nous avançons muets sur un fil ténu.

Elle dit : pourquoi dit-on Guerre d'Algérie comme si l'Algérie ne s'était battue que contre elle-même ?

Ils disent : laissez dormir les vieux fantômes.


Elle ne peut pas dire nous, elle parle seule.

Du moins, pour le moment.

Elle sait les brûlures du souvenir, les feux qui se rallument, la vie qui n'efface rien.

(à suivre...)

4_____________________________________________



La vieille Sara me parlait. Elle me disait : écris, écris, ma fille, qu'ils sachent, qu'ils se souviennent. Ils disaient liberté.

Elle dit les terres d'enfance perdues.

Ils disent "oublie, c'est mieux". Ils disent "cela n'interesse personne, le monde a d'autres chats à fouetter". Ils disent "pas le moment".

Elle se souvient, elle fait des rapprochements, elle relie, elle pense, elle y pense encore.

Te souviens-tu comment tout cela a commencé ?

Insidieusement, inévitablement, brutalement, sans prévenir ou avec plein de signes avant coureur, des signes qui couraient en avant et vite.

Te souviens-tu vraiment ?

Et d'abord, commencer pour qui ?

C'est cela la première question, selon où tu te trouvais, selon le regard que tu portais sur les choses et les êtres.

C'est cela, la question, selon ta lucidité, ta clairvoyance, ton regard portait sur ce qui, pourtant, crevait les yeux.

C'est cela la question, ce qui crevait les yeux n'était pas vu de tous.

Seuls quelques uns pressentent l'avenir.


(à suivre...)


5_____________________________________________




Je me souviens des hommes assis sur les trottoirs, en bord de mer, le long des balustrades ou sous les arcades, et qui mendiaient.

Aujourd'hui, tu vois, disait Sara, ici aussi les gens mendient, quémandent, autrefois, c'était seulement là-bas, pas encore ici.

Je me souviens du moment où on a vu, ici, des gens commencer à s'asseoir sur les trottoirs et à mendier.

J'ai repensé à eux, les mendiants de mon enfance, eux que j'avais fini par oublier. J'ai compris alors que le monde avait changé.

Aucun pays ne serait plus préservé de l'extrême pauvreté, celle la même créée par le pouvoir colonial, en ces temps oubliés.

Je me souviens que ce n'était pas le bon vieux temps, sauf si le temps n'était bon que d'avoir été celui de l'enfance.

Je me souviens que l'extrême pauvreté côtoyait notre aisance. Je me souviens, disait Sara.

Aujourd'hui, le monde entier est devenu semblable au monde de mon enfance, une partie de la population s'assoit sur les trottoirs et mendie.

Je reconnais ce monde, il me saute aux yeux, il est là, il revient d'autrefois.

Il a traversé le temps, ou alors le présent est allé le rejoindre.

Ils me disent d'arrêter, se souvenir ne sert à rien, nous n'avons pas le temps, avançons, les bouleversements en cours vont tout effacer.

Ils me disent suivez le fil du temps sans retour.

Ils me disent il n'y a pas de retour.

Il n'y a pas de retour possible.



6_____________________________________________


Je me souviens que pour dire tuer, la Radio disait : pris en embuscade ou abattu.

Les rebelles prenaient en embuscade, en réponse ils étaient abattus. Il n'y avait ni égalité, ni symétrie même dans les mots de la mort.

Je me souviens du mot atrocités, signifiait-il horreur dans les villes ?

Les mots sont les lambeaux des souvenirs.

On ne disait rien du pétrole, on ne disait rien des liens entre le pétrole qui coulait sous cette terre et tout ce que nous devions endurer.

Je me souviens des puits de pétrole qui poussaient dans le désert et du mot trépan.

Les trépanés étaient ceux dont on avait dû trouer le crâne lors de guerres précédentes. Cela n'avait, semble-t-il, rien à voir.




7_____________________________________________



Sara dit qu'elle se souvient.


Elle se souvient que le pays tout entier avait progressivement obéi à une partition géographique aux invisibles frontières.

Elle se souvient que la famille se rapprochait progressivement des plus grandes villes.

Elle se souvient que cela semblait être une question de vie ou de mort.

Se creusait inexorablement le fossé des ultimes affrontements, comme si, à leur insu, une force occulte les rangeait en ordre de bataille.

C'était pourtant eux qui se déplaçaient, trouvant prétexte de mutations pour rapprochements familiaux.




8_____________________________________________



Je me souviens de l'assassinat de Mouloud Feraoun.


Je me souviens que Mouloud Feraoun avait écrit "Le fils du pauvre" un roman paru en 1950.

Sara se souvient que Mouloud Feraoun était instituteur.

Sara se souvient que Mouloud Feraoun a été assassiné le 15 mars 1962.

Te souviens-tu qu'en même temps que lui, ils ont tué Ali Hamoutène, Max Marchand, Robert Eymard, Salah Ould Aoudia et Marcel Basset ?

Te souviens-tu que c'était à la fin de la guerre, les accords d'Evian étaient signés quelques jours plus tard ?

Te souviens-tu qu'ils voulaient tuer le moindre espoir de vivre encore ensemble sur cette terre ?

Elle se souvient plus tard, de la voix de Marguerite Taos Amrouche et que cette voix la consolait.



9_____________________________________________



Rêve de souvenirs partagés, entre les rives, entre les terres.

Elle reçoit de Rachid ce message :
Découvrez cette vidéo -- les faces méconnues de Mouloud Feraoun. 


Elle trouve dans les archives de l'INA : Max Pol Fouchet rend hommage à Mouloud Feraoun 


Je ne me souvenais plus de l'émission de Max Pol Fouchet présentant le journal de Mouloud Feraoun lors de sa parution aux éditions du Seuil.

Je me souviens de Lecture pour Tous, de Pierre Desgropes et Pierre Dumayet.

Le Journal de Mouloud Feraoun écrit pendant les années de guerre est paru le 5 décembre 1962, finalement peu de temps après l'indépendance.

Le Journal de Mouloud Feraoun est paru quelques mois après sa mort.



10____________________________________________



Elle se souvient que la Radio disait rebelles et forces de l'ordre.

La Radio disait : "A-( ici le nom du lieu )-des-affrontements-ont-opposé-des-rebelles-aux-forces-de-l'ordre".

La Radio faisait ensuite le compte des morts et des blessés.



(à suivre ...) ©

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