jeudi 7 juin 2012

91. Le fusil



Chez Louise, il y avait un fusil caché dans la soupente, au dessus de l'évier, Louise disait toujours le lévier.
Après le blocus du Quartier, chaque immeuble avait été visité, on appelait cette pratique : le ratissage.

D'abord, la Radio avait donné l'ordre du désarmement, chacun devait apporter ses munitions dans les commissariats.
Tout était étrange, car les commissariats eux mêmes avaient participé à la sédition.

Le plus jeune frère du Père avait caché lui même le fusil dans la soupente, et le Père l'ayant su, était devenu furieux.
Comment pouvait-on mettre Louise ainsi en danger et compter sur son infirmité pour échapper au ratissage systématique du Quartier ? 
Comment le jeune Frère osait-il ? Crier des âneries, les dimanches autour d'un gigot était une chose, en faire était tout différent. 

Sara voyait que tous devenaient fous.

Le Père disait que les armes ne protégeaient en rien et favorisaient, d'une manière ou d'une autre, les meurtres. C'était tuer et être tués.

Le père insistait sur le "et".
Le Père avait toujours refusé la possession d'une arme dite de défense et le jeune Frère se moquait de lui et de ses théories.
La Guerre aidait les frères à régler leurs comptes.


La Guerre replongeait les frères dans les comptes mal réglés de l'enfance.
La Guerre fracturait doucement les familles.La Guerre montrait déjà les prémisses des ruptures prochaines.
La Guerre brisait la fragile harmonie des animosités tempérées.
Les Dimanches étaient devenus de plus en plus orageux, puis tonitruants. Ensuite, chacun était resté chez soi arguant du danger de circuler.

L'appartement dans la Cité du Bonheur devenait une île dans la tempête de la Guerre.
Le Père disait, ici, aimer la déclaration universelle des Droits de l'homme conduit à la plus grande des solitudes et à notre isolement.
Le Père dit, rassembler les hommes de bonne volonté est devenu impossible et il n'y a plus de place pour eux ou alors ils sont morts. Toutes les chances ont été perdues.


(à suivre...)
LB