mercredi 7 mars 2012

45. La machine Singer

Je me souviens que Sara cousait sur une machine Singer.







Je me souviens de ses pieds posés sur le rectangle de métal ouvragé, le pied droit un peu plus haut que le gauche.

Je me souviens du mouvement que ses pieds imprimaient à la plaque, quand le droit appuyait en haut puis le gauche en bas. C'était une danse, et les mains de Sara guidaient le tissu, la tête penchée sur la machine. La main gauche en avant, la droite en arrière.

Je me souviens de la manière dont le mouvement des pieds
se transmettait par une roue équipée d'une courroie de cuir jusqu'à l'aiguille.
La danse était dans la machine mais aussi dans le corps de Sara, répétitive, rassurante, un bercement.
Je me souviens que Sara aimait coudre.

Je me souviens que j'admirais Sara quand elle cousait, la danse de son corps qui guidait la machine et l'objet de tissu qui apparaissait.
Les jambes freinaient la roue qui risquaient d'emballer le va et vient de l'aiguille, le temps d'ajuster le tissu.

Les mains superposaient délicatement les pans que la piqûre devait assembler.


Si la roue n'obéissait pas aux pieds agiles de Sara et que l'aiguille mordait le tissu où elle ne devait pas, Sara s'arrêtait soudain.

Sara rassemblait l'ouvrage sur ses genoux puis entreprenait de découdre avec un petit instrument pointu et coupant en forme de bec d'oiseau.

Elle passait la pointe aiguë du bec sous le fil, l'enfonçait pour que la petite lame le coupe net et recommençait pour le point suivant.

Quand chaque point avait été défait un à un, la danse recommençait.

Tout semblait aller bien et parfois ça déraillait. Un instant d'inattention et l'harmonie était brisée.





(à suivre...)

LB

44. Dardanelles




Les troupes d'Afrique fondaient sous le feu comme des poupées multicolores.
Zouaves et tirailleurs habillés de rouge, de vert et de blanc.

Chaque jour des centaines d'orphelins naissaient dans tous les coins d'Algérie, arabes et français.

Jeanne se souvient que Louise disait que son mari était aux Dardanelles et qu'il aurait pu y perdre la vie.

Louise riait et parlait du Radeau de la Méduse, David avait dérivé des jours durant et avait eu par miracle la vie sauve. 
Il était rentré des Dardanelles en 1919, et le Père était né en 1920. La même année que Sara, demandait Jeanne. Oui, disait Louise, la même année que Sara.
David avait été enrôlé dans les zouaves.
On tournait les aventures guerrières de David au comique, on en riait, il en avait réchappé.


L'état colonial labourait à dessein le sillon de l'ignorance, créant des terres sans habitants et des habitants sans Histoire.


Chacun devait être prêt à se battre pour la France.

Jeanne relirait tout Camus pour que revienne les bribes de souvenirs tapis dans les mots, ensuite, l'Histoire avec sa grande H complèterait.

(à suivre...)

LB