mardi 13 mars 2012

59. Le repas des ogres


Je me souviens que Sara nous faisait dîner d'un café au lait avec des tartines quand le Père s'absentait pour une soirée.
C’était très rare.
Je me souviens que c’était comme une fête et que Sara était contente de n’avoir pas, ce jour là, à faire un vrai repas.
Je me souviens qu'avant de partir pour l'école, le petit déjeuner était le même café au lait avec des tartines que Sara nous regardait manger.
Je me souviens que Sara disait, c'est le repas des ogres.
C’était des soirs qui ressemblaient aux matins.

Il y avait des rires en l’absence du Père. On disait, quand le chat n’est pas là…

Et puis, un soir, Sara a allumé une veilleuse avant son départ.
La cérémonie de l’uniforme a commencé. Et même si le Père tournait tout cela en ridicule, on riait moins.

(à suivre...)
LB

58. Anciens Moudjahidins


Les écrans abolissent les frontières de l'espace et du temps.

Canal Algérie 20 février 2012. Frères d'armes. Six hommes âgés se retrouvent et racontent filmés par Tayeb Yezine. Deux femmes très âgées aussi parlent de la torture.
Tout semble  filmé dans "l'intèrieur". Un homme parle ou une des deux femmes, en arrière plan le paysage de la campagne algérienne ou le mur d'une maison de village.
Notes.
Ils enlevaient les tuiles de nos maisons si on ne payait pas les impôts.
On payait des impôts pour tout, une chèvre, et même pour le chien qui gardait la maison, même le chien...
Malgré mon statut de français, ils ont dit que ce travail était interdit aux algériens.
Le caïd était au service de l'administration française, il se prenait pour un roi.
On ne pouvait pas circuler librement, il fallait un laisser passer et le présenter à l'aller et au retour.
J'avais 14 ans, j'entendais mon beau frère parler de la révolution. J'ai commencé à militer à 14 ans.
Je devais aller chercher des vêtements militaires chez le tailleur. Sur un pont, je me suis trouvé en pleine bataille. On militait en secret. La révolution s'est faite dans le secret.
Le chef de l'organisation est mort. Un colonel est arrivé, il a coupé sa tête et l'a emportée.
Ils nous tiraient dessus avec des mortiers, une fois qu'ils ont tout détruit, ils se sont retirés.
Ils t'attachaient par les pieds, la tête dans l'eau et quand tu étais prête à dénoncer tu levais la main, ils te retiraient.
Ils torturaient les hommes et nous les femmes, on devait regarder.
On coupait les routes en faisant sauter des bombes.Le lendemain dans le journal, on parlait de "fauteurs de troubles".
J'ai passé treize mois en prison.
Les moudjahidins venaient manger chez nous en civil, et les villageois devaient ignorer qu'ils étaient maquisards.
(à suivre...)
LB