samedi 17 mars 2012

68. Lila


Le décret Crémieux, la loi de 1889 décrétant la naturalisation des étrangers chrétiens et le code de l'indigénat sont une seule politique.

Il fallait faire croire à la compatibilité de la République et de sa démocratie avec le système colonial antidémocratique, par essence même.

Le mensonge s'est poursuivi sans faiblir, ni faillir. Il est encore présent dans les récits séparés de nos histoires.

Dans le tissu du peuplement, les législateurs de l'état colonial tenaient des ciseaux invisibles de main de maître. L'armée n'y aurait pas suffi. 

La Guerre de papier agissait en profondeur, créait des fissures jusqu'au cœur des êtres, trompait et abusait.

La Guerre de papier créait pour chacun une seconde peau dont la couleur variait en ses nuances plus ou moins brune ou blanche.

Il n'est pas sûr que quelqu'un de précis l'ait décidé, mais l'idée de la conquête et du maintien nécessaire de la domination y menait droit.

Lila rédigeait ces lignes avec application, certaine que le jury l'approuverait : le temps avait passé, était venu le moment d'y voir clair.





Lila dit, écrire du point de vue des bourreaux est à la mode, on veut leur donner une présence, eux qui pour tuer s'ingénient à s'abstraire.

Les bourreaux eux-aussi sont dans la lumière aveuglante du présent, regarder le monde de leur point de vue ne montre que la banalité du mal.

Ils finissent par nous attendrir par leur humanité, les écrivains leur octroient un don pour l'art ou un amour ectopique ; le tour est joué.

Lila disait qu'elle étudierait la pensée qui sous tend les systèmes politiques et y situerait ensuite les histoires singulières.

Lila disait que la pensée politique est un être multiforme. Note : dire les pensées car elles sont comme ces trains qui en cachent d'autres.

Lila tentait de cerner le problème et Rachid lui disait qu'elle s'ingéniait à chercher les sources du pardon.




Lila disait, comment extirper le mal avec ses racines si on nie leur existence et qu'on ne regarde que ses fleurs.

Lila disait, couper les fleurs fanées ne suffit pas.

Lila savait que Jeanne évitait un des aspects du problème, mais tournait autour sans fin.







Lila écrivit : en revenir à l'histoire de Samuel, à sa légende, enquêter, se documenter.


(à suivre...)

LB    

67. L'armée française


Je lis le prix Goncourt 2011, L'art français de la guerre.

Les souvenirs mènent tous à l'importance de l'armée française et de son histoire dans la Guerre d'Algérie. Cela ne devrait pas étonner.

La guerre, c'est bien l'affaire des armées.

Alors, je lis L'art français de la guerre, il tombe à pic. 

Déjà, page 12, cette phrase sobre, lapidaire me paraît juste sonner comme ces vérités pressenties qui n'ont pas trouvé leurs mots : "L'armée en France est un sujet qui fâche."

Page 21, il est question de chars et je me souviens du matin où un char, un tank, disait le Père, était garé devant l'immeuble de la Cité.

Je me souviens, comme le narrateur d'Alexis Jenni, de la Guerre du Golfe et de la rage devant les images de synthèse de la télévision.

Le mensonge des frappes chirurgicales, le mensonge de l'alliance de la chirurgie et de la guerre, la chirurgie c'est après, voilà la vérité.

Et p.24, le narrateur de Jenni, le remarque, l'écrit : Dans les guerres dissymétriques, les seules auxquelles l'Occident prend part, la proportion est toujours la même : pas moins de un à dix.

La question au bas de la page 36 : suffirait-il d'être français pour être concerné par ce que firent d'autres français ?

"Le silence après la guerre est toujours la guerre."

Elle s'apercevait qu'elle s'était tue longtemps croyant respirer l'air de la paix.

Le guerrier d'Alexis Jenni est artiste, il peignait, celui des Bienveillantes écrivait. L'art serait-il le lieu de la bonté des guerriers ?

C'est page 50 : "La mémoire n'a pas de début."

Page 51 : "Il y a dans un événement quelque chose que son récit ne résout pas."

Je me souviens que le tank était là massif, vert-beige bien visible dans les murs de la Cité, avec ses chenilles désaccordées d'avec la rue.

Je me souviens que la Radio parlait d'un putsch et que nous avons manqué un jour d'école.

Je me souviens que le Père est parti faire sa classe et qu'il disait que peut- être des enfants viendraient, il devait y être.

Je me souviens que Sara a allumé une veilleuse en plein jour et que nous avons attendu son retour.

(à suivre...)

LB

66. Saint Démon


Je me souviens que les rues de Saint Démon étaient tracées au cordeau et qu'elles se coupaient à angle droit. Au centre, une petite église.

Lila dit à Jeanne, le village où est née Sara porte le nom d'un héros de la conquête qui a inventé la prime à la tête coupée.


Bachir m'écrit, les Saint Démon étaient nombreux.


Quand j'étais enfant en Kabylie, l'ogre était un de ces officiers et portait une carnassière dans laquelle il jetait ses prises.


(à suivre...)


LB