Dans le livre, on ne lit pas le mot
Torture, celui qu'un jour le Père a prononcé tout bas.
En prononçant les phrases où se trouvait le mot Torture, le Père
eut cette légère inflexion de la voix qui donne l'ordre de ne pas entendre.
Dans le livre aussi, le mot est tu, seul un récit qui se conclue
par "Tuez-le, il ne parlera pas." C'est à la page 104 du Tombeau.
Dans la Cité, un garage immense abrité
sous le terrain de tennis, astuce d'architecte. Les voitures à l'abri, une
place pour chacun.
Un jour, l'armée réquisitionne une
partie du garage, des paras s'y installent. Presque toutes les voitures sont
dehors.
Pouillon a conçu la Cité en rupture
avec la mode du béton. Il y a des cours entourées de claustras au rez de
chaussée, des murs de pierre.
Seul le garage est en béton. La
surface verte du terrain de tennis est devant les fenêtres, Sara s'en souvient.
Maintenant, les bérets rouges sont nos voisins. Maintenant, ils regardent la télévision
à travers les claustras.
La dame du rez de chaussée accueille
tout le monde, Jean Gabin et Michèle Morgan s'embrassent en noir et blanc.
Tout l'immeuble et Lahman, l'amant.
Elle ouvre la fenêtre pour les paras.
Ils sont debout, les yeux à hauteur de
nos têtes. Poussez vous.
Un soir, le Père raconte, sa voiture
encore garée là, la boite à outil disparue et une batterie. Il voulait porter
plainte, réclamer.
Et puis, il a compris qu'il ne valait
mieux pas, il a compris qu'il avait intérêt à sortir de là et fissa.
C'est là qu'il a dit le mot
"torture". Il supposait qu'on torturait tout au fond du garage, sous
le terrain de tennis, là, juste à côté.
Après ça, (le hasard?) plus de
télévision. Les films n'étaient pas de notre âge, disait Sara et les dessins
animés non plus.
Dans la Cité, plus personne n'avait accès au garage.
(à suivre...)
LB