dimanche 2 décembre 2012

D. Souvenirs de Larbi (2)


Larbi écrit

La guerre d'Algérie a été une terrible épreuve pour les populations civiles.
Les enfants ont entendu parler d'évadés, ensuite de HLL (hors la loi) et presque en même temps de moudjahidines (ceux qui font le djihad, en ce temps là, cela n’avait pas de connotation religieuse).
Les femmes se sont mises à chanter, en travaillant, des chants improvisés de glorification du moudjahid.
On les chantait en revenant des champs et puis, on les oubliait. Ils revenaient sur les lèvres comme un secret de famille, connu de tous.
Par chance, et surtout, parce que mon père nous a évacués de Kabylie, je n'ai vu qu'un seul mort, mon copain Safiane tué par un harki.
En 1962, j'ai vu un jeune français agoniser dans un terrain vague, devant la caserne des Eucalyptus; les soldats ne sont pas sortis le secourir...
Enfants, puis adolescents, nous étions des coffres forts ambulants de secrets de famille.
Les pires qui touchaient aux viols des personnes étaient effacés de nos mémoires. A ce jour!
On jouait aux jeux de nos âges; pas à la guerre...
Le plus triste: rencontrer le regard vide de ceux qui ont vu ou vécu des horreurs...

Si c'est une catharsis, elle est pénible, mais en est-ce une...

Jeanne, parlons d’autre chose.

C. Souvenirs de Larbi


Larbi écrit 

Mes souvenirs sont pénibles, Jeanne.

Souvenir d'un collégien qui a vu son prof de sciences habillé en "territorial" commander un peloton d'éxécution à Boufarik et faire justice en tuant un jeune homme arrêté par la foule  après avoir lancé une grenade.
Souvenir d'un petit algérois qui a vu un camarade de quartier tué par un harki de la SAU (SAS) pris de panique quand le jeune a mis la main à la poche; il cherchait une boîte de tabac à priser: Mekla!
Souvenir de jeunes arabes dénonçant leur voisin de type européen qui se rangeait du côté des français quand il y avait des rafles. Ce voisin a fini par être arrêté; il était membre d'un réseau FLN.
Souvenir de Marie de la cité "Les dunes" sur la route de Fort de l'eau qui laissait les petits arabes l'embrasser ("petits" comme Little big man!)
Souvenir de la DST qui balançait des arabes du 3éme étage des immeubles de la CIA (Compagnie Immobilière d’Algérie).
Souvenir d'une rafle à Constantine et les soldats laissent les chiens surveiller les arabes exposés au soleil de juillet.
Souvenir de  la rue Michelet d'Alger jamais empruntée sur toute sa longueur, seulement traversée.
Souvenir de la première 404, de la DS 19, de la SIMCA 1000.
Souvenir de la Casbah barbelée et de ses "hôtels": Sphinx, Chat noir, Versailles, du 14 juillet, de Cythéria où la police des moeurs faisait des descentes, pour s'offrir de la bière Pils ou 33 export !
Souvenir des slaloms d'évitement des barrages de la police, des bérets rouges ou verts...
Souvenir du livre "Le dernier quart d'heure" d'Albert-Paul Lentin qui reste un pur exemple de l'expression de ces pieds-noirs qui avaient pris le parti des algériens.
Souvenir des articles de Mauriac et de JJSS...
Souvenir de la poignée de main refusée à de Gaulle à Tébessa.
Souvenir de la récupération du drapeau algérien abandonné par un manifestant qui a refusé de le reprendre, car il était visé par les grenadiers qui lançaient leurs grenades à partir d'hélicoptères.
Souvenir des 20 camarades de l'école primaire tués le même jour par l'armée, parce qu'ils auraient pu prendre le maquis.

Mes souvenirs sont pénibles, Jeanne.