samedi 8 décembre 2012

H. Les invisibles


Larbi écrit à Jeanne

Hannah Arendt a écrit que ce qui la frappait dans le système concentrationnaire nazi est qu'il a créé "des fabriques de mort". Aucun des films, écrits ou témoignages sur l'univers concentrationnaire ou sur les répressions de masse, ne fait mention ou état de la moindre prise de conscience des agents ou des policiers qu'ils ont à faire à des personnes, des êtres humains : preuve que les persécutés leur étaient "invisibles", n'étaient qu'une masse informe, difforme ou alignée selon qu'il s'agissait de la réprimer, de la mater ou de la soumettre.
Aujourd’hui même, un agent ordinaire a mis au jour, en une phrase, la manière dont il travaillait à nous rendre invisibles, il a témoigné de cette volonté quasi délibérée de nous effacer pour continuer à agir comme on le lui demandait, pour continuer à faire, tranquillement, son absurde travail.
Après 5 heures debout dans un couloir de tribunal en attendant la signature d'un document officiel, une personne épuisée par l'attente fait remarquer à l'agent que tout ce temps perdu...
- Personne ne perd son temps ici ! dit l'agent
- Puis-je vous demander pourquoi vous m'avez "engueulé" hier ?
- Vous savez, moi, dès que je rentre chez moi, tout est effacé ; je me requinque pour redémarrer!
Voilà où réside la conviction de non culpabilité!
Ils ne nous voient pas ! Ou alors, aussitôt vus, ils nous effacent.
Nous ne sommes rien ou seulement des choses sans nom qui s'agitent dans leur champ de vision...