vendredi 17 février 2012

21. Les repas du dimanche


Le Père disait, l'état français est bel et bien parvenu à fabriquer l'étrange catégorie de ceux qui vivent étrangers dans leur propre pays.

Elle se souvient, les repas du dimanche agités de débats et de cris, chaque dimanche de la guerre : les arguments et comment la faire cesser.

Les cris des oncles et du Père débordaient des fenêtres, entraient chez les voisins, s'aventuraient sur les trottoirs.

Même en plein été, Sara finissait par fermer la fenêtre de la salle à manger.

(à suivre...)
LB

20. Les indigènes étrangers.


Je me souviens qu'ils avaient des formules toutes faites pour nier l'évidence. Ils disaient, l'Algérie c'est la France. 

Ils disaient, la France de Dunkerque à Tamanrasset. 
Ils disaient, l'Algérie est et restera française.

Le Père disait que tout était incohérent, l'Algerie était la France, mais la France était la métropole.

Le Père insistait, l'Algérie était la France, mais on disait les indigènes et les français.

Dans cette Algérie qui était la France, il y avait deux catégories d'habitants, les citoyens français et les autres. 
Le Père disait, imagine, dans cette Algérie qui était la France, les autochtones ou indigènes n'étaient pas des citoyens français.

Le Père disait, le langage lui-même parvient à des contradictions inextricables, des contresens, des contrevérités.

Les paroles que nous entendions s'habillaient d'une logique de l'absurde.

Plus la guerre avançait, plus l'absurdité des combats que l'état français livrait aux algériens apparaissait au grand jour.

Car, disait le Père, qui peut croire que l'Algérie c'est la France, si les gens d'ici ont aussi peu de droits que s'ils étaient étrangers.

L'état français était parvenu à créer la notion d'indigène ou autochtone étranger, nous vivions gouvernés par un oxymore.

(à suivre...)

LB