samedi 14 juillet 2012

97. Plasticage (2)



Le pain de plastic avait dû être déposé sur le palier de l'étage au dessous de celui où nous habitions.
C'est ainsi qu'il avait pu effondrer le sol de la Chambre sur lequel se trouvait posé le bureau et la chaise où la Petite Sœur était assise.

La chaise jumelle était vide, et Jeanne se souvient qu'elle était dans la chambre des parents à écouter les nouvelles de Guerre, à la Radio.
Je me souviens que j'étais dans la chambre des parents et que la Radio posée sur le lit racontait les actualités de la Guerre.
La Radio parlait encore d'embuscades, de négociations, d'enlèvements, de manifestations, de barricades, de généraux et de plasticages.


Les vitres de la fenêtre se sont brisées et le tas de verre est tombé en tintinnabulant à nos pieds.
Je ne me souviens pas du bruit de l'explosion, il se confond avec le son de chute du verre en cascade sur le sol de la chambre des parents. 
Il se confond avec les autres plasticages entendus à bonne distance, qui par la suite faisaient notre quotidien.
Il se confond avec les autres plasticages qui, plus près, plus tard, faisaient seulement chuter les vitres qu'on ne réparait plus. 
Il reste, dit Jeanne, qu'encore aujourd'hui tout bruit d'explosif, même de feux d'artifice, même de pétard de fête, me projette dans ce passé.

C'est comme si, dit Jeanne, le son et le souvenir s'étaient disjoints, comme si la pensée et le corps avaient préféré, soudain, se séparer.
La pensée s'est détachée des bris du verre et a couru seule dans la Chambre où était la chaise vide à côté de la Petite Sœur écrivant. 
La pensée disait que la Petite Soeur avait peur certainement, très peur, puisque, déjà, je veux dire avant, elle avait peur de tout. 
La Petite Sœur avait peur de la chaleur du bain maure de Saint Démon, de l'eau de la mer et des vagues, du vent qui risquait de l'emporter.
Sur le chemin de l'école, le vent soufflait fort et plus fort au pied de la Tour de la Cité, elle devait s'abriter pour ne pas s'envoler.
Jeanne devait n'avoir peur de rien pour la rassurer. Sara comptait sur Jeanne, comme Rachel avait compté sur Semia pour élever Sara.
Jeanne avait laissé la chaise jumelle vide et la Petite Sœur seule avec la peur qui avait surgi dans leur appartement de la Cité du Bonheur.


Le Père a dû les précéder, quand Jeanne et Sara se sont retrouvées dans le hall d'entrée, le Père était déjà en contrebas sur les gravats.
Le Père était debout, en contrebas, il criait le nom de Sara comme un enfant qui chercherait sa mère, une tâche rouge glisse sur son front. 
De cette chute sur la tête, on date le réel début de la folie du Père qui ne devint apparente qu'après l'exil.

(à suivre...)
LB