lundi 4 juin 2012

90. Bab el Oued


A Bab el Oued, l'immeuble de la rue du Résistant Sans Grade était près de l'avenue où passait les tramways, une petite rue perpendiculaire.
Louise et David habitaient au numéro 5 et au cinquième étage dans le deux pièces, avec leurs quatre enfants.
Là que le Père avait grandi, là dont le Père partait pour aller dormir chez une tante mieux logée quand le petit dernier est né. 
Là que Louise est restée avec ce dernier fils après la mort de David et le départ progressif des plus grands.
Là que Louise, ayant perdu la vue, pouvait se déplacer sans aide, dans cet appartement dont elle connaissait chaque espace et chaque recoin.


Là qu'elle était assise des heures à faire de petites pâtes, les roulant une à une entre pouce et index, les laissant tomber sur un plateau.



Parfois, elle s'arrêtait pour évaluer les quantités et avec la paume de sa main enfarinée, elle faisait rouler les petites formes oblongues.



Elle avait la tête dressée comme pour regarder au loin droit devant elle. Cela lui donnait un air de grave méditation.
La fabrication des pâtes se trouvait parée d'une étrange solennité. Quand le plateau était plein, il fallait encore les faire sécher.

C'est là, au 5 Rue du Resistant Sans Grade, au cinquième étage de l'immeuble, non loin du tramway, que j'ai su la haine de Louise pour Sara.
C'est là que le Père et Sara ont dû habiter entre la maison du Village au Bord de L'eau et la Cité sur les Hauteurs de la Ville Blanche. 
Je me souviens avoir entendu Louise calomnier Sara en son absence.

Là, a commencé une petite guerre en famille au beau milieu de la Guerre qui ne disait pas encore son nom.
Sara se souvient et dit : devant tous, toute petite, tu as répété tous les mots blessants. La construction de la Cité sur les Hauteurs n'était pas achevée.


(à suivre...)
LB 

89. La Juva4



Je me souviens de Pâques à Saint Démon où nous allions en Juva4. Seul le Père conduisait. Sara suivait sur la carte. Nous trois à l'arrière.
Le voyage était long et nous nous disputions pour ne pas "être sur la barre" du siège arrière.


Sara et le Père calculaient la durée du trajet en tenant compte d'une vitesse moyenne de 60 kilomètres-heure.
Le Père n'en perdait jamais une, pour tenter de nous intéresser à un de ses problèmes de mathématiques.

Les tournants donnaient la nausée surtout entre le Village des Asphodèles et la Ville Blanche.
Avez vous connu les Juva4?
Je me souviens, que la Juva4 était toute en rondeurs. Le tissu qui tapissait l'intérieur avait l'apparence du velours et le toucher rugueux.  
Il y avait le relief du logement de la roue de secours sur le haillon du coffre.
Nous nous arrêtions sur le bord des routes pour manger sur une vieille nappe posée au sol, ou assis sur le siège de la Juva portes ouvertes.
Pour le voyage, Sara avait préparé la Glacière que le Père avait installée dans le coffre avec les outils et la valise.

Je me demande combien devaient coûter ces engins. On les usait jusqu'à la corde. Pas question d'en changer tous les deux ans...
Quand nous nous arrêtions, des gens arrivaient, des enfants ou des vieux qui échangeaient avec Sara des salutations en arabe.
Pâques à Saint Démon rassemblait chaque année toute la famille, c'était comme une fête de l'Aïd el k'bir ou un Noël.
Chacun prenait la route et les chemins convergeaient vers la maison de Rachel et Samuel qui avaient fait les préparatifs.
Et puis Samuel est mort, et la Guerre a commencé à durer, Sara n'a plus voulu prendre la route avec les enfants.

(à suivre...)
LB