dimanche 22 avril 2012

80. Le Lycée

Je me souviens du Lycée, je me souviens de la vue sur la ville et la mer au loin.


Je me souviens que le bâtiment central ouvrait sur un patio, et dans le patio un escalier monumental.


Je me souviens que les élèves entraient en rang par deux, traversaient le patio et s'engageaient dans l'escalier.


Je me souviens des coursives qui ouvraient sur les classes et que, de leurs balcons, on suivait des yeux les élèves jusqu'à la porte de leur classe.


Je me souviens que c'était comme un ballet presque silencieux orchestré par la surveillante générale.


Je me souviens qu'au fond de la grande cour, il y avait un petit pavillon avec un dôme et que c'était la classe de musique.


Je me souviens des pins parasols et des chenilles processionnaires qui les quittaient au printemps.

Je me souviens des créneaux qui bordaient la cour et que j'y ai passé tant de temps à contempler la ville qui descendait vers la mer.

Je me souviens des terrains de sport étagés à flan de colline et que nous courrions sur les murets et que nous jouions au ballon prisonnier.

Je me souviens que Sara et le Père nous pensaient là en sécurité, jusqu'à l'explosion de la bombe du rectorat.

Je me souviens que les hélicoptères tournaient dans le ciel et que c'était le putsch des généraux, on disait "le putsch".

Je pensais que le mot "putsch" ressemblait à "strounga" et à ces onomatopées des bulles des bandes dessinées que le Père réprouvait.

Je me souviens de l'hélicoptère et d'avoir entendu une élève dire, il faut s'asseoir dans la cour et dessiner OAS, ils nous verront du ciel.

Je me souviens qu'elles se sont toutes assises formant les trois lettres au sol et que, finalement, moi aussi, j'y suis allée.

Je me souviens n'avoir pas su faire autrement.

Je me souviens d'avoir vu Cherifa, Nadia et Ourida entrer dans le bâtiment.

Je me souviens que les professeurs ont laissé faire la "manifestation".

Je me souviens de ma honte et d'avoir su que je trichais.

Je ne me souviens pas avoir dit au Père que je le trahissais.

Je ne me souviens pas avoir dit au Père que j'avais eu peur, en n'y allant pas, de nous trahir.

C'était juste après le départ de Marie pour la France.

Je me souviens que je restais souvent assise entre les murets d'un créneau, à regarder la lumière sur la ville.


Je me souviens que j'évitais d'entendre ce que disaient les autres.

Les lycéennes se réjouissaient du putsch, elles et les professeurs, presque tous les professeurs, du moins à ce qu'il semblait.

Je me souviens que les bruits de la Guerre étaient devenus si assourdissants, qu'ils étaient entrés dans le Lycée et y résonnaient sans fin.


 (à suivre...) 
 LB

1 commentaire:

  1. Marie : le putsch, c'était bien avant mon départ…
    Je me souviens d'une autre manifestation d'élèves, une grève peut-être et la troupe était là, occupant le lycée. Pour protester, nous avions épinglé sur nos blouses des étoiles jaunes en papier (j'en suis aujourd'hui aussi confuse que tu le fus alors d'avoir trahi ton père). Un des CRS était choqué: "Vous ne savez pas ce que vous faites", disait-il…

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