Bernard
écrit à Jeanne
J'avais quinze ans. C'était
en 1959 ou 1960. Pendant les vacances scolaires, mon père, voyageur de commerce
m'avait emmené en tournée. Je l'attendais accoudé à la portière dans une rue de
Strasbourg.
La cinquantaine, le visage
ravagé, le pas incertain sur le trottoir, un inconnu s'approche et m'empoigne
le bras :
Tu es pied-noir toi !
Moi terrorisé :
Non !
Il a poursuivi son chemin.
Je n’y ai rien compris. C’est resté comme ça, un souvenir arrêté, de ceux qui
sont comme des points d’orgue de nos vies. Énigmes en suspens. Après, j'ai
imaginé qu'il venait d'apprendre la mort de son fils en Algérie.
Hermès
écrit à Bernard
Z’avez fait ça vous aussi?
Attendre votre représentant de père dans la voiture? Bon sang!
En 61, par contre je n'ai
pas attendu. J'ai vendu avec lui des encyclopédies.
Le porte-à-porte pour
vendre des encyclopédies Machin, avec un grand M.
Bien plus jeune, j'allais
à Belle Isle en vacances. Pas riche, juste que ma mère y était née. Un peu
"les glaces à l'eau" de Jonasz, sauf que nous étions heureux comme
des poux. Pas de thune, mais le ciel, la mer, la pluie, le vent, les crabes, les
flaques. Bouillie tous les soirs pour boucler le budget, pas d'électricité,
bougies et lampes à pétrole. Deux mois comme ça!
Et il y avait Messali Hadj
en résidence surveillée. Et je me souviens d'un type (garagiste?) qui avait
promis de lui faire la peau si son fils mobilisé en Algérie ne devait pas
revenir.
Le fils est revenu,
Messali est parti.
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